Olivier Messiaen est aussi généreux dans son enseignement qu’il l’est dans sa musique. Son immense carrière de professeur et de pédagogue épouse son activité de compositeur, chacune enrichissant l’autre. Ce sont non seulement des master classes et conférences dispensées dans le monde entier, mais aussi un parcours plus institutionnel qui l’inscrit pleinement dans l’histoire du Conservatoire de Paris. Après avoir exercé à l’École normale de musique et à la Schola Cantorum entre 1934 et 1939, il enseigne au Conservatoire de la rue de Madrid de 1941 à 1978, d’abord comme professeur d’harmonie puis d’analyse en 1947, et enfin de composition en 1966.
Cette fameuse classe du Conservatoire, devenue quasi mythique, a connu différentes appellations tout en étant principalement consacrée à l’analyse musicale. Sa renommée et son originalité tenaient en premier lieu de son enseignement éclectique et ouvert à tous les styles, époques et cultures – il enseigne aussi bien Pérotin, Mozart et Scarlatti que Wagner, Debussy, Stravinsky et Boulez (sans oublier ses propres œuvres), le plain-chant médiéval, la métrique grecque, le gamelan balinais et les déci-talas de l’Inde. Alain Louvier résume parfaitement l’enseignement du maître : « À sa classe comme dans sa musique, Olivier Messiaen faisait montre d’un esprit universel, curieux de tout […]. [Il] ouvrait des fenêtres […] sur le Moyen-Âge […], l’Inde ou le Japon, mais il replaçait la musique à la confluence d’un nouveau Quadrivium, constellations des arts et des sciences de la connaissance. »
Ses élèves viennent de France mais aussi d’autres pays d’Europe, d’Amérique du Nord et du Sud ou encore du Japon et de Chine. Messiaen définit lui-même son cours comme une sorte de classe de « super-composition » destinée « à des jeunes gens et des jeunes filles de dix-huit à vingt-huit ans qui ont déjà un bagage musical important. La plupart d’entre eux ont obtenu les récompenses suprêmes dans les classes d’écriture, quelquefois un Grand Prix de Rome ou aussi un prix de direction d’orchestre, d’accompagnement au piano etc… »1
Le plus remarquable dans sa pédagogie est sans doute qu’il ne cherchait pas à imposer son style, ses opinions ou ses propres choix esthétiques mais au contraire, il respectait la démarche et la personnalité de chaque élève et l’encourageait à suivre sa propre voie. De ce point de vue, on ne peut pas dire qu’il ait « fait école » à proprement parler. Ainsi le résumait Stockhausen : « Messiaen faisait souvent le contraire de ce que je souhaitais accomplir. Mais il n’essaya jamais de me persuader, de me convaincre. En cela, il était un bon professeur. Il ne donnait pas de leçons de composition, mais nous montrait comment il comprenait la musique des autres et comment il travaillait lui-même. »2
La liste – non exhaustive – des personnalités musicales marquantes qui ont fréquenté la classe de Messiaen est impressionnante : Yvonne Loriod, Pierre Boulez, Pierre Henry, Michel Fano, Jean Barraqué, Gilbert Amy, Karlheinz Stockhausen, Paul Méfano, François-Bernard Mâche, Gérard Grisey, Tristan Murail, Michaël Levinas, Betsy Jolas, George Benjamin… C’est toute une génération, et même plusieurs générations de compositeurs, interprètes, musiciens et penseurs de notre temps qui se sont succédé, faisant de la classe d’Olivier Messiaen un foyer artistique fécond et propice à une saine émulation.
« Messiaen vous forçait à penser par vous-même, vous ne vous aperceviez pas qu’il vous enseignait. J’allais à la classe trois fois par semaine, et c’était comme si j’avais été avec un collègue, avec un ami ! Nous partagions des choses, nous discutions – souvent, j’étais en désaccord – nous argumentions… » (George Benjamin) 3.
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1 in Claude Samuel, Entretiens avec Olivier Messiaen, éditions Pierre Belfond, 1967
2 in Jean Boivin, La classe de Messiaen, Christian Bourgeois éditeur, 1995
3 Ibid.